397 Cours de rattrapage : Pôle emploi
mercredi 03 septembre 2014 • 16:24 (CEST)
Je m'étais dit que j'allais freiner la politique pendant quelque temps. Le boulot me prend du temps, je m'occupe aussi d'autres choses, et puis il faut dire que le paysage politique n'est pas rose rose en ce moment, ce qui est particulièrement frustrant, surtout pour un socialiste modéré tiraillé entre un gouvernement qui vire libéral (et dont on ne peut plus lui trouver d'excuses du genre « ça portera ses fruits plus tard ») et fait faute sur faute de communication ; une gauche de la gauche à l'état de zombie qui n'était jamais sortie de la surenchère idiote voire de la grossièreté (et ça vaut autant pour Jean-Luc Mélenchon, lequel a eu le bon goût de reconnaître ses erreurs, que pour Alexis Corbière, au hasard, que j'ai trouvé détestable sur France 3 au lendemain des municipales) ; et des écologistes dont la crise d'ado semble s'éterniser.
Donc, je n'avais pas prévu d'écrire politique avant un moment, possiblement les prochaines élections régionales.
Mais voilà : hier matin, il y a eu ça :
Je demande à Pôle emploi de renforcer les contrôles pour être sûr que les gens cherchent bien un emploi.
Cette petite phrase n'est pas signée Laurent Wauquiez ni Marc-Philippe Daubresse, et elle ne vient pas même pas de la droite. Elle vient du ministre du travail, François Rebsamen.
Et elle m'a quasiment fait tomber de ma chaise, à l'instar de Jegoun.
Dans le même temps, ça vient de François Rebsamen, un homme qui n'a pas l'air de savoir qu'il n'y a pas besoin d'être maire d'une ville pour aller faire un tour dans sa circonscription et s'impliquer dans la vie locale entre deux sessions du Sénat et n'a probablement jamais mis les pieds dans un Pôle emploi ou une ANPE.
Ironie de l'histoire, ce qui m'a décidé à écrire ce billet, c'est la réception d'un courriel, justement en provenance de Pôle Emploi, que je reproduis partiellement à côté, et qui me semble être une base parfaite pour un petit cours de rattrapage sur le thème du chômage.
Monsieur le ministre,
Voyez-vous ce courriel à droite de l'écran ? Il s'agit de la dernière farce proposition d'activité que Pôle Emploi a la gentillesse de m'adresser. Notez qu'il ne s'agit pas là d'une activité obligatoire, si bien qu'en ignorant (aimablement) cette invitation, je ne risque pas grand chose. Ce n'est, comme on dit, qu'un coup de pouce. Manque de chance, ce coup de pouce est complètement à côté de la plaque : officiellement, je ne rentre pas dans la catégorie « Bac+4 et plus » et croyez-en mon expérience, aucune entreprise ne me prendrait pour un « jeune diplômé » (avec raison, puisque ça fait quand même plus de cinq ans que j'en ai terminé avec les études).
Je ne vais donc pas me déplacer pour rien, merci. En plus, je suis en CDD, en ce moment.
Le problème de Pôle Emploi, voyez-vous, c'est qu'ils sont très souvent à côté de la plaque. Je me souviens du jour de mon inscription, c'était en 2012 à l'issue d'un autre CDD qui faisait suite à un peu d'intérim (encore du CDD, donc). Je me suis rendu pour m'inscrire dans mon pôle emploi « payeur », qui n'est pas le même que mon pôle emploi« suiveur » (parce que le guichet unique, ça n'existe pas dans la vraie vie). Il a fallu une grande demi-heure pour finalement être casé, c'est à dire littéralement rangé dans une petite case qui détermine toute l'attitude de Pôle Emploi à mon égard. Une demi-heure, parce que j'ai un profil atypique, et aussi à cause de deux pannes informatiques qui ont eu lieu entre mon arrivée et mon départ. On m'a prévenu dès le départ : on ne pourrait pas grand chose pour moi. Ils ne m'ont effectivement pas fait beaucoup de propositions : surtout des formations en informatique, généralement axées sur qu'est ce qu'un système d'exploitation alors qu'il est clairement indiqué dans mon CV et mon profil que c'est quelque chose que je maîtrise parfaitement, merci bien, et que je suis développeur à mes heures perdues (et même en autoentrepreneur depuis quelque temps, mais ça j'y reviendrai un autre jour). Un jour, ils m'ont proposé un stage d'anglais pour débutants, alors que je suis parfaitement bilingue, ce qui est également indiqué. Je vous le demande : pourquoi irais-je perdre mon temps dans une formation qui coûte de l'argent au contribuable ? Autant que ça serve à quelqu'un qui en a besoin, non ?
Au tout début, ils m'ont même transmis une offre pour un magasin qui cherchait une vendeuse en lingerie. Le 22 octobre 2012, deux offres : un poste d'expert comptable (je n'ai aucune formation dans ce domaine : je n'ai fini par en grapiller quelques bases que via mon expérience en gestion) et un autre d'assistant juridique en droit social pour une compagnie d'assurance, première expérience exigée. En somme, rien à voir avec moi, et dans tous ces cas, des CDD.
Depuis, hormis les formations précédemment mentionnées — plus rien. Je me débrouille par mes propres moyens.
Et ça, ce sont les erreurs honnêtes, si je puis dire. Le qualificatif prend tout son sens quand vous avez connaissances des situations bizarres ou carrément absurdes dont on trouve des récits un peu partout. Ainsi ma sœur qui, ayant terminé ses études, a également rejoint la confrérie des chômeurs non indemnisés, a été radiée au bout de quinze jours pour ne s'être pas actualisée le mois précédent. Impossible de résoudre le problème : il lui a fallu se réinscrire… pour être à nouveau radiée quinze jours plus tard pour la même raison ! Si vous voulez d'autres exemples, ils ne manquent pas : mon ami Politeeks en a subi aussi, et une petite recherche en ligne vous en donnera des tombereaux.
M. le ministre, vous réclamez publiquement plus de contrôle. Les fraudeurs doivent être sanctionnés, de même qu'il est normal de payer une amende quand on se fait flasher par un radar. Pour autant, de nombreux chômeurs sont victimes des dysfonctionnements du système, surtout quand ils ne sont pas armés pour y faire face (car je fais partie, moi, d'une génération qui maîtrise les outils de communication modernes : quid des autres ?). Ces chômeurs sont aussi victimes du manque de formation et de moyens des conseillers (certains sont carrément obsolètes), ou d'un système tout simplement défaillant (comme l'espèce de masse imbitable et régulièrement en panne qu'ils appellent le nouveau site internet).
M. le ministre, relisez cet article du Parisien : la fraude, ce n'est pas si simple qu'il n'y paraît. Pôle emploi s'améliore dans leur détection et leur gestion, et il ne faut pas oublier les employeurs indélicats ou les fraudes à l'échelle industrielle dans lesquelles les chômeurs n'ont, somme toute, pas grand chose à voir.
M. le ministre, pourquoi, pourquoi appuyer sur ce thème alors qu'il y a tant d'argent à récupérer ailleurs — comme les milliards de la fraude fiscale ? Les décodeurs nous montrent d'ailleurs qu'il s'agit d'une peccadille par rapport à d'autres fraudes. Pourquoi cet argument, alors que vous tweetiez le 22 février 2012 que :
Le problème de la France ce n'est pas les chomeurs c'est le chomage
— François Rebsamen (@frebsamen) February 22, 2012
M. le ministre, pourquoi cette volte-face qui devient celle « des socialistes » ? pourquoi désavouer le communiqué du bureau national du PS du 15 avril 2008, également retrouvé par Politeeks, lequel dénonçait des propos de M. Sarkozy en tous points semblables aux votres, et qui rappelait que « la politique qui consiste à faire des demandeurs d’emploi les responsables de leur sort a déjà fait maintes fois la preuve de sa nocivité et de son inefficacité » ?
M. le ministre, ne croyez-vous pas que les situations ubuesques provoquées par Pôle emploi, qui s'ajoutent aux difficultés de la vie que connaissent les précaires (dont les fins de mois parfois plus que difficiles et autres situations du genre, sans parler des problèmes de déplacement, d'accession au logement et tout simplement du désoeuvrement et de la mésestime de soi) ne sont pas des incitations suffisantes à retrouver un emploi ? Ne comprenez-vous pas, au passage, qu'il n'y a pas d'offres d'emploi non pourvues, mais uniquement des offres d'emploi à pourvoir, et qu'une offre pourvue n'existe pas par nature ?
Et enfin, M. le ministre, comment vous rendrez-vous compte de tout cela si vous annulez vos passages sur le terrain ?
Il devient, je crois, plus qu'urgent de recaler la classe politique, de tous bords, avec la réalité.