394 Découpages régionaux
mardi 03 juin 2014 • 17:27 (CEST)
Hier, le président de la république a livré sa vision de la réforme territoriale.
Comme vous le savez peut-être, je suis un grand défenseur de la fin du mille-feuille des collectivités locales (j'en ai parlé ici). Je n'avais pas été très convaincu par les propositions du comité Balladur, qui plutôt que de fusionner les conseils généraux et régionaux avait préféré fusionner les conseillers. Pour autant, je ne suis pas très convaincu non plus par ce qui nous est proposé ici, sous réserve de voir ce que Marylise Lebranchu va proposer pour la deuxième étape.
La presse fait ses choux-gras du redécoupage des régions, et des réactions qui vont bien dans les divers territoires. Les Alsaciens hurlent à l'idée de se retrouver avec les Lorrains, les Auvergnats ne comprennent pas très bien pourquoi on veut les mettre avec les Rhôdaniens, et les Nantais voient encore une fois le retour en Bretagne leur échapper. On se demande aussi pourquoi des régions comme le Nord–Pas de Calais ne bougent carrément pas. Sans compter l'histoire du XXX, alors que les derniers arbitrages n'étaient pas tombés ; enfin, l'étonnement de certains « journalistes » en voyant une liste de 14 régions alors qu'on nous en promettait 12. C'est d'ailleurs probablement afin de laisser de la latitude aux parlementaires qui trancheront en définitive que ce découpage nous paraît un peu étrange.
Passons. J'ai déjà dit, et redit, que pour moi, tout ceci, c'est de la roupie de sansonnet. Croient-ils vraiment, à l'Élysée, Matignon, Beauvau et ailleurs, que fusionner quatre ou cinq régions va fondamentalement améliorer le fonctionnement des collectivités locales ? Franchement, 12 ou 14 ou 22, c'est quasiment kif-kif (je reviens plus tard sur le quasiment). Même si des économies de fonctionnement sont réalisées (après avoir changé tous les logos, panneaux et autres…), je doute qu'elles soient suffisamment élevées pour justifier une telle hâte.
L'important, c'est de supprimer les conseils généraux, ce qui heureusement semble être dans les cartons, donc, du ministère de la réforme de l'État et de la décentralisation, puisque Mme Lebranchu est en train de travailler sur la répartition de leurs compétences entre les conseils régionaux et les conseils communautaires. Et à toutes fins utiles, je précise (parce que les « journalistes » ne semblent pas tous capables de faire la différence) qu'il ne s'agit pas de supprimer les départements (échelon administratif), mais seulement les conseils généraux (la collectivité territoriale). Toute la complexité est là : pour supprimer la collectivité, il faut une réforme constitutionnelle, mais il ne faut pas qu'en plus les services publics déconcentrés de l'État en pâtissent, ce qui serait un signal épouvantable à envoyer aux citoyens dans un contexte de défiance envers les politiques. Il est très important que les préfectures et sous-préfectures restent en place (quitte à effectuer des ajustements). Malheureusement, cette réforme n'interviendrait qu'en 2020.
Une fois cette étape franchie, il faudra tendre vers la fusion des communes dans leurs communautés de communes, d'agglomération ou communauté urbaine respectives, de la même façon que dans les métropoles (même si les compétences peuvent varier en fonction du type de communauté). En effet, puisque les communautés devraient récupérer beaucoup de compétences très importantes, les communes vont avoir de moins en moins d'importance, et toute l'Europe s'accorde à dire qu'on en compte de toute façon beaucoup trop (y compris des communes de moins de 10 habitants (qui ont donc plus de membres élus au conseil municipal que d'habitants) et même une avec un seul habitant !). Quitte à garder les communes actuelles comme communes associées, voire comme arrondissements municipaux : ainsi le lien de proximité est maintenu. Ce système fonctionne dans environ 700 communes actuellement, c'est donc tout à fait viable.
Pour autant, ces portes ne sont pas fermées et il va falloir garder un œil sur l'évolution des choses.
Maintenant, s'il faut absolument réduire le nombre de régions, voici ce qui, selon moi, a le plus de sens. Hé oui, moi aussi je peux faire du redécoupage et du charcutage régional !
Tout d'abord, les ajustements qui peuvent être faits facilement, soit par pure logique, soit parce que les régions sont volontaires pour se rapprocher :
- Réunifier la Basse et la Haute Normandie. Ce découpage purement politique n'a plus aucun sens aujourd'hui y compris pour celui qui était responsable du découpage à l'époque, surtout qu'il s'agit de deux petites régions (5 départements en tout) au regard de leurs voisines ; les deux régions ont d'ailleurs déjà opéré des rapprochements. La capitale de cette Normandie réunifiée serait Rouen (et non Caen, tout simplement parce que si Caen est culturellement plus animée, Rouen est mieux connectée et d'autant plus imposante avec sa future métropole).
- Fusionner la Bourgogne et la Franche-Comté, puisque ce rapprochement a déjà commencé.
Dans un deuxième temps, les fusions de raison qui visent à rendre les régions plus fortes. Contrairement au découpage parfois un peu curieux qui est présenté, il faut tenir compte a) d'une cohérence des territoires, b) des flux de population et des grands axes de communication, c) des activités économiques. Par exemple il n'y aurait aucun sens à fusionner Rhône-Alpes avec PACA dans une grande région Alpes : placer Lyon et Marseille dans la même région n'aurait pas tellement de sens… Quelques possibilités :
- Premier point important : rattacher l'Oise à l'Île-de-France. Une bonne partie des habitants de ce département travaille désormais dans la région parisienne et rien qu'en matière de transport, c'est un véritale problème pour eux puisque si le RER va bien jusqu'à Creil, il n'est pas en tarification Île-de-France, obligeant les Isariens à détenir deux abonnements. La ligne K, elle, est un parfait exemple des problèmes de communications entre régions. En outre, l'Oise échappe aux programmes régionaux, lesquels auront d'autant plus d'importance que la métropole du Grand Paris privera l'Île-de-France d'une bonne partie de son territoire. L'Oise pourrait grandement bénéficier d'une entrée dans la région capitale.
- Puisqu'on en est à démanteler la Picardie, autant s'intéresser au nord de la France. Lille est le grand pôle régional du nord. On pourrait donc fusionner la Somme et l'Aisne, le Nord–Pas-de-Calais et la Champagne–Ardenne dans une grande région Flandre(s)–Champagne dont la capitale serait Lille, la capitale des Flandres. Cette fusion a du sens car l'Aisne est historiquement à cheval entre l'Île-de-France et la Champagne, et le développement de l'axe Lille – Charleville-Mézières est une piste à étudier qui me semble beaucoup plus intéressante qu'une fusion entre la Champagne–Ardenne et la Lorraine. Quant à la Somme, elle fait un peu pièce rapportée, mais on ne sait pas trop où la mettre de toute façon. Éventuellement en Normandie, au pire, si les habitants préfèrent.
Viennent ensuite les régions « artificielles », si je puis dire : celles qui ont été un peu bricolées faute de savoir où mettre les départements qui leur correspondent, parce que ces régions étaient très diverses :
- Démentèlement des Pays-de-la-Loire : rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne, mais laquelle garderait Rennes comme capitale juste pour emmerder les Nantais (et parce qu'ils ont le Parlement de Bretagne). Ce matin à la radio, quelqu'un disait qu'il ne fallait surtout pas parce que ça ranimerait la flamme unitaire bretonne à l'image des Catalans ou des Flamands. Hum de quoi ? En tous cas, la plupart des activités commerciales/maritimes sont à Nantes, et il est donc bon d'éviter de mettre Nantes dans la même région que Bordeaux ; alternativement, on pourrait imaginer de conserver la Loire-Atlantique avec ses voisines des Pays-de-la-Loire (voir juste après). La Vendée retrouverait l'Aquitaine et les autres départements fusionneraient avec la région Centre, pour donner une nouvelle région qu'on pourrait appeler Val-de-Loire. Comme on essaie de garder une cohérence géographico-économico-pondérale, on peut en sortir l'Eure-et-Loir (voir plus loin) et éventuellement lui rattacher la Creuse pour éviter que l'Aquitaine ne soit trop chargée (la Creuse a en outre fait historiquement partie de la Neustrie et non de l'Aquitaine). Cette région Val-de-Loire est tout aussi artificielle que celles qu'elle remplace, mais ça n'en laisse plus qu'une. Le cas de l'Eure-et-Loir est intéressant : à l'instar de la Somme, au carrefour de 5 régions très différentes, on ne sait pas trop où le mettre. La Normandie est une possibilité (cohérent avec la politique des territoires et les parcs naturels régionaux), l'Île-de-France une autre (ce serait géographiquement cohérent avec l'axe Versailles/Rambouillet, le Drouais avec le Mantois et la Beauce vers la région d'Étampes).
- Démentèlement du Limousin : la Corrèze et la Haute-Vienne rejoindraient l'Aquitaine, parce qu'elles sont de toute façon tournées vers Bordeaux et non vers Clermont-Ferrand.
- Enfin, l'Aquitaine fusionnerait avec la région Poitou–Charentes pour former une grande région Sud-ouest, je n'ai pas trouvé de meilleur nom. Elle récupérerait, comme je l'ai dit plus haut, la Vendée (qui est historiquement liée au Poitou) et le Limousin amputé de la Creuse.
Pour terminer, les cosmétiques :
- Fusion Midi-Pyrénées et Languedoc–Roussillon : de quoi faire grincer des dents, mais on a besoin de grandes régions fortes, paraît-il. Certains verraient bien une fusion entre Aquitaine et Midi–Pyrénées d'une part, et une grande région Méditerrannée d'autre part (englobant le Languedoc–Roussillon et la Provence–Alpes–Côte-d'Azur), ce qui me paraît bancal : en effet, Bordeaux et Toulouse dans la même région n'est peut-être pas si malin, idem pour Marseille et Montpellier (ça risque surtout de freiner le développement de Montpellier).
- Fusion Rhône-Alpes et Auvergne : là encore de quoi faire grincer des dents, mais il est évident que l'Auvergne est tournée vers Lyon, et les axes entre Lyon et Clermont-Ferrand se sont multipliés (entre le chemin de fer, l'autoroute, etc). L'alternative est de la fusionner avec le Limousin, mais comme je l'ai dit, les villes de cette région sont tournées vers Poitiers ou Bordeaux, et non vers Clermont-Ferrand. Un projet de l'UDI prévoit de faire de Clermont-Ferrand un gros pôle du centre de la France, mais je ne sais pas très bien comment justifier ce choix.
- Fusion Alsace et Lorraine : un autre sujet sensible, d'autant que les Alsaciens ont récemment refusé de fusionner leurs départements. Néanmoins, l'Alsace reste une région trop petite par rapport à l'intérêt régional, c'est donc une fusion de raison, même si je la classe comme cosmétique, c'est à dire que c'est loin d'être une priorité.
Et enfin, celles qu'on laisse tranquille : la Provence–Alpes–Côte-d'Azur, très densément peuplée, avec ses zones d'intérêt assez resserrées, ainsi que la Corse, qui est une collectivité territoriale et non une région ; en outre, son côté insulaire lui permet de s'affranchir de la contrainte d'intérêt régional évoquée dans le cas de l'Alsace, puisqu'elle n'a pas de voisins.
Quant aux départements et régions d'outre-mer, la Martinique et la Guyane ont voté en 2010 la fusion de leurs départements et régions respectives, la réforme est en train de se mettre en place. Il conviendra évidemment d'appliquer la suppression du conseil général à la Guadeloupe et à la Réunion, Mayotte étant déjà une collectivité unifiée.
Pour résumer, voici ce que ça pourrait donner au final pour la métropole :
- Région Normandie (Basse-Normandie, Haute-Normandie, Eure-et-Loir), capitale : Rouen
- Région Bretagne (Bretagne, Loire-Atlantique), capitale : Rennes
- Région Sud-ouest (Aquitaine, Poitou-Charentes, Vendée, Corrèze, Haute-Vienne), capitale : Bordeaux
- Région Midi (Midi–Pyrénées, Languedoc–Roussillon), capitale : Toulouse
- Région Provence–Alpes–Côte-d'Azur (inchangée), capitale : Marseille
- Région Rhône–Alpes–Auvergne (Rhône–Alpes, Auvergne), capitale : Lyon
- Région Bourgogne–Franche-Comté (Bourgogne, Franche-Comté), capitale : Dijon
- Région Alsace–Lorraine (Alsace, Lorraine), capitale : Strasbourg
- Région Flandre(s)–Champagne (Nord–Pas-de-Calais, Champagne–Ardenne, Somme, Aisne), capitale : Lille
- Région Île-de-France (Île-de-France, Oise), capitale : Paris
- Région Val-de-Loire (Mayenne, Maine-et-Loire, Sarthe, Loir-et-Cher, Cher, Indre, Indre-et-Loire, Loiret, Creuse), capitale : Orléans ou Tours
- Collectivité territoriale de Corse (inchangée), capitale : Ajaccio