393 Don't be a drag, just be a queen
lundi 12 mai 2014 • 08:45 (CEST)
Samedi soir avait lieu le concours eurovision de la chanson et c'est l'occasion d'emprunter une phrase à la « reine de la pop », c'est du moins l'avis de ses fans : Lady Gaga. Qui ne participera sans doute jamais à l'Eurovision d'ailleurs, mais tant pis : cette ligne tirée de Born This Way fait un titre parfait pour ce modeste article. Et puis d'ailleurs, c'est quand même mieux que certains titres tout en délicatesse qu'on peut trouver dans la presse ces jours-ci, du style L'Autriche remporte l'Eurovision grâce à son travesti barbu (France 24). On dirait Le Point : les travestis barbus envahissent notre culture ! Bouh !
Parce que la queen du soir, c'était bien Conchita Wurst. Avec elle, l'Autriche s'est offert son deuxième sacre à l'Eurovision, après celui d'Udo Jürgens en 1966. Et quelle victoire ! car rien n'était gagné malgré le phénomène suscité par cette artiste, sur lequel je ne reviens pas, parce que la presse en a abondamment parlé.
Évidemment, la victoire d'un travesti à l'Eurovision a fait hurler les réactionnaires d'ici et d'ailleurs, à commencer par Christine Boutin et les médias et réacs russes (alors même que le détail des votes montre que les télespectateurs russes ont classé l'Autriche en 3e position). Et je dois avouer que ça donne un petit côté sympa à tout ça, parce que tout ce qui emmerde les réactionnaires et ne pose pas de problème aux autres est bon à prendre.
En outre, dans un contexte de repli identitaire et de retour de vieilles valeurs conservatrices (on en a parlé là), il est toujours bon de voir des gens plebisciter quelqu'un comme Conchita Wurst, qui est en outre une artiste accomplie avec une très belle voix (même si à titre personnel, ce n'était pas mon passage préféré). Et vu les autres prestations, je ne pense pas que cette victoire soit déméritée. Et surtout, quand on voit les votes ukrainien et russe, on peut y voir un message de tolérance. Du coup, l'Autriche, traditionnellement vue comme une terre conservatrice perméable à l'extrême droite (depuis l'épisode désastreux des élections de 1999, après lesquelles la droite s'est alliée à l'extrême-droite pour écarter la gauche du pouvoir) se retrouve propulsée en tête de la lutte pour la tolérance et l'égalité. Le Monde publie un article intéressant de leur correspondante à Vienne sur ce sujet.
Pendant ce temps, le drag, c'est à dire littéralement le boulet, c'est au bas du tableau et c'est la France, qui une fois de plus fait un résultat épouvantable. C'est d'ailleurs la première fois que la délégation tricolore termine dernière de la finale, avec seulement 2 petits points (le pire score restant celui de Dominique Walter, en 1966, avec 1 point, à la 16e place sur 18 participants — justement, une année de victoire de l'Autriche. Coïncidence ?). Pourtant, tout n'est pas si noir : nous restons le seul pays fondateur et du Big Five à n'avoir jamais terminé le concours sur un score nul.
Je passe sur les Twin Twin, qui ont sûrement fait ce qu'ils ont pu. Je n'ai pas été tellement emballé par la performance en direct par rapport à la vidéo d'origine, mais je pensais que la chanson, forte de son rythme entêtant, pouvait marquer un minimum le public voire même… plaire, pourquoi pas ! Plus les paroles, simples mais d'actualité, qui dénoncent ceux qui en veulent toujours plus alors qu'ils ont déjà beaucoup, les caprices de riches, quoi. En outre, le coup de la moustache avait semblé produire son petit effet sur les gens qui la reconnaissaient. Finalement, seuls les juries suédois et autrichiens ainsi que les téléspectateurs islandais les ont classé dans leur top 10, respectivement aux 7e et 10e places. Selon les données compilées par Yod'ah, 19 juries les ont classé 20e ou en dessous. Bref, définitivement pas notre heure de gloire… Pourtant, ils ont reçu un lot de consolation : le prix du groupe le plus sympathique, décerné par les participants et les personnels techniques, ainsi qu'une mini-revanche : leur titre est le plus écouté sur le site de l'Eurovision. Comme quoi !
Sur les votes, il y a bien sûr les polémiques habituelles. On le sait bien, qu'il y a des « blocs ». Les pays de l'est (Russie, Bélarus, Ukraine, Azerbaïdjan…) votent entre eux, les Scandinaves (Suède, Danemark, Islande, Norvège) également ; les pays Baltes alternent entre ces deux blocs. On retrouve aussi les diasporas, ou encore les pays qui se détestent (les feuilletons Arménie/Azerbaïdjan ou bien Grèce/Turquie par exemple, qui se sont évitées pendant plusieurs années). Finalement seuls les pays d'Europe de l'ouest semblent voter pour les artistes qu'ils préfèrent en priorité… Ou bien pas si sûr ! la France a bien attribué 12 points à l'Arménie. Entre les scores de l'Arménie en provenance des autres pays et la prestation plus que douteuse d'un candidat plutôt détestable qui s'est illustré par de jolis propos homophobes et transphobes, ce n'est pas politique ça comme vote peut-être ? D'ailleurs, ça a toujous été, il suffit de regarder les votes attribués dans les années 70, avant que tous les pays de l'est ne débarquent, pour voir que le Royaume-Uni jouait avec l'Irlande, la France avec Monaco et la Belgique, l'Allemagne avec la Suisse, etc.
En plus, si ces votes « de bloc » défavorisent de fait certains pays, ils ne suffisent pas à dessiner une victoire ou une défaite. La preuve en est tous les ans : le vainqueur fait généralement consensus, et il est rare que les scores soient serrés au point que ces blocs jouent un rôle. Il est possible que ça ait été le cas en 1991, lorsque la Suède arracha le concours en étant arrivée ex-aequo avec la France, au bénéfice d'un plus grand nombre de dix-points. Il est possible encore que ce fût le cas en 1966, où la répartition des votes a pu laisser penser que le « bloc scandinave » tentait de faire tomber les pays francophones qui dominaient alors la compétition, propulsant la candidate suédoise à la deuxième place derrière l'Autrichien Udo Jürgens. Mais d'une façon générale, les blocs ne représentent pas assez de votes pour que ce soit significatif.
Reste la question de ces contre-performances françaises à répétition : je ne crois pas, moi, que la réponse se trouve dans la langue. Le fait qu'on persiste à parler français est à mon avis négligeable, d'autant que le français est une langue officielle de l'eurovision et que les présentateurs traduisent systématiquement les points attribués par exemple, ce qui se fait depuis les origines du concours. Évidemment, les choses ont bien changé depuis l'époque où c'était véritablement un concours de chant, sans spectacle, avec un public assis sagement comme au théâtre. Je crois que nos deux principaux problèmes sont ceux-ci : on a du mal à s'adapter aux choses modernes, et surtout, il y a un véritable manque d'engouement pour l'eurovision dans notre pays. Il serait peut-être plus pertinent de s'inspirer de certains autres pays, qui organisent de grands concours, plutôt que de devoir trancher entre trois choix discutables présélectionnés par on-ne-sait-qui. Et surtout, il faut trancher dans le vif. Il faut se démarquer, être originaux, bref, oser. Encore une chose qui n'est pas complètement dans le cliché français !
Bref, on peut toujours espérer pour l'année prochaine !