388 De la nuit et du dimanche
vendredi 27 septembre 2013 • 18:43 (CEST)
Le travail du dimanche est un vieux débat dans notre société. L'article L3132-3 du code civil, en vigueur depuis le 10 août 2009 (loi 2009-974 réaffirmant le principe du repos dominical) dans sa rédaction actuelle, indique que le repos hebdomadaire, d'une durée de 24 heures, doit être donné le dimanche. Cette disposition existe depuis la loi du 13 juillet 1906, c'est dire !
Évidemment, la société a changé depuis un siècle, et les problématiques commerciales également. Et du coup, les dérogations aussi. Il y a, concernant le travail du dimanche :
- les dérogations de droit : le repos hebdomadaire peut-être donné un autre jour en cas de contrainte de production (production alimentaire pour consommation immédiate, hôtels, restaurants et débits de boisson, bureaux de tabacs, transports en commun, etc) ; le repos hebdomadaire peut être donné à partir du dimanche à 13 heures (au lieu de 0 heure) dans la vente alimentaire au détail ; les communes d'intérêt touristique ou thermal bénéficient également de dérogations de droit (hors alimentaire après 13h), cette classification étant validée ou non par le préfet sur demande du maire ;
- les dérogations conventionnelles (qui doivent être validées par l'inspection du travail) : par exemple dans l'industrie, si un accord collectif et/ou d'entreprise estime nécessaire d'organiser la production de façon continue et que cette méthode permet une meilleure utilisation de l'outil industriel et tend au maintien ou à la création des emplois ;
- les dérogations administratives, accordées ou refusées au cas par cas par le préfet, notamment celles des zones dites PUCE, où le repos dominical peut être décalé par roulement pour tout ou partie du personnel, le tout en fonction des habitudes de consommation dominicale de la zone et de l'importance de la clientèle concernée ;
- la dérogation administrative, accordée ou refusée au cas par cas par le maire (sauf à Paris) : il s'agit des ouvertures exceptionnelles certains dimanches pour les magasins (dite « règle des cinq dimanches »).
Quant au travail entre 21h et 6h, la loi indique qu'il est exceptionnel (articles L3122-29, L3122-32 et suivants) et doit être justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou d'un service d'utilité sociale (cas de la production continue ou des transports en commun).
Je passe sur les détails et sur les contreparties accordées par la loi aux salariés, qui varient en fonction du type de dérogation, des secteurs et des conventions collectives.
Or, cette question est revenue sur le devant de la scène avec les décisions rendues ces derniers jours dans l'affaire du Sephora des Champs-Élysées et dans le conflit pour concurrence déloyale entre Bricorama, Castorama et Leroy Merlin. Dans le premier cas, Sephora n'a plus le droit d'ouvrir après 21 heures car ils n'ont pu justifier de la nécessité de recourir au travail de nuit ; dans le deuxième cas, maintenir certaines enseignes ouvertes et en obliger d'autres du même secteur à fermer le dimanche constitue un cas de concurrence déloyale, c'est ainsi que les tribunaux ont jugé les choses.
Ce matin, je regardais une certaine chaîne info et j'écoutais les salariés mécontents de ces décisions. Ce qui peut se comprendre. Le travail dominical et de nuit sont avantageux pour eux, les heures correspondantes sont mieux payées (les heures de dimanche, sauf accord collectif prévoyant d'autres dispositions, sont des heures supplémentaires majorées de 100% par exemple) et sont généralement accompagnées de repos compensateur. Non, ce qui m'a surpris, ce sont les arguments, répétés à longueur d'interview : « comment vais-je boucler mes fins de mois » sans le travail de nuit/du dimanche ?
Je me suis donc fendu d'un tweet que je reproduis tel quel :
« Ces salariés qui préfèrent se battre pour bosser nuits et dimanches à cause fins de mois difficiles plutôt que pour augmentation salaires… »
Évidemment j'étais limité aux 140 caractères de Twitter. Quelques retweets plus tard, j'ai reçu tout un tas de réactions négatives dont, en vrac, « qui es-tu pour les juger », « de quel droit devrait-on leur interdire le dimanche », etc. Du coup, je me sens un peu contraint de m'expliquer plus avant.
À titre personnel, je n'ai rien contre le travail du dimanche, ni même de nuit. Je suis un peu dubitatif quant à la nécessité d'avoir des commerces ouverts au milieu de la nuit, même sur les Champs-Élysées, mais pourquoi pas. Le dimanche a plus de sens à mes yeux, les familles se promènent, parfois dans les centres commerciaux, surtout s'il fait froid. Je m'étais d'ailleurs inquiété de la fronde des syndicats contre l'arrêté autorisant l'ouverture du centre commercial Le Millénaire, à cheval entre Aubervilliers et Paris, tous les dimanches. Ce centre commercial est souvent désert en semaine : il est situé dans des quartiers pauvres et est encore mal desservi par les transports en commun, même si ça va mieux depuis l'arrivée du T3b et de la ligne 12 à Front Populaire. Il lui faut encore attendre l'arrivée de Veolia en 2015 et la gare Rosa Parks pour vraiment s'en sortir. En revanche, les weekends y étaient très chargés et vouloir interdire son ouverture le dimanche me paraissait être suicidaire. D'ailleurs, la Fnac a essayé de s'enfuir en catimini, mais a été contrainte à la réouverture par la justice.
Tout ça pour dire, donc, que non, je n'ai rien contre le travail du dimanche, sur la base du volontariat. Ce qui m'inquiète est plus profond : c'est que le volontariat, c'est bien, tant que ça reste du volontariat. Faites-en une norme, et il n'y a plus de volontariat : ça un moyen de pression sur certains salariés qui pour une raison X ou Y refuseraient, par exemple. En outre, c'est un coup à faire sauter tous les avantages qui vont avec. Il faut donc que tout cela soit très encadré. Parce qu'il y a une problématique sociétale à l'arrière-plan : ne vaut-il mieux pas que le repos hebdomadaire soit défini, pour le plus grand nombre, le même jour ?
Reprenons mon tweet : je trouve quand même assez grave qu'un salarié en soit à vouloir travailler le dimanche ou la nuit, sans quoi il aura du mal à finir le mois. Pour moi, c'est que ce salarié n'est pas assez payé. Et peut-être que son énergie serait mieux employée à se battre pour obtenir des revalorisations salariales, parce que sans vouloir jouer la carte des patrons voyous, cette situation est tout à fait à l'avantage des entreprises, qui font plus de chiffre d'affaire (Bricorama indique avoir perdu 25% de chiffre d'affaire en fermant le dimanche, Sephora estime qu'ils en perdront 20% en fermant à 21h) et les salariés n'y gagent que peu… parce qu'ils risquent surtout, à terme, de perdre ces avantages.
Je peux comprendre que des salariés s'inquiètent parce qu'une baisse du chiffre d'affaire peut potentiellement mettre l'entreprise en danger (enfin dans le cas de Sephora, qui appartient à LVMH, il ne faut peut-être pas exagérer !) ou qu'ils aient la fibre sociétale en pensant à l'intérêt du consommateur. Ou tout simplement que ça ne les dérange pas de travailler la nuit ou le dimanche. Ou même que ça les arrange parfois (comme des étudiants qui n'ont pas le temps la semaine, mais là on touche à un autre problème qui est celui du niveau de vie des étudiants, lesquels devraient étudier plutôt que travailler). Mais pour moi, dans la jungle des arguments possibles, ils choisissent le pire : ils donnent raison à des entreprises qui vont pouvoir l'utiliser pour continuer à les faire travailler quand ils veulent. Pas sûr qu'ils apprécient le jour où ça arrivera ! La boucle est bouclée… mais en tout état de cause, c'est une question qui devra être tranchée par le pouvoir législatif, pas par des salariés mécontents.
PS. Non, je n'ai pas suivi l'histoire de l'employée de Sephora très médiatisée issue de l'UNI et du MET. Ça n'a de toute façon rien à voir.