Le blog de Clem

C'est une idée qu'on doit à notre brillantissime ex-président de la république, Nicolas Sarkozy. Lors de la réforme des circonscriptions électorales pour les élections de 2012, celui-ci a fait ajouter pas moins de 11 circonscriptions dédiées à nos compatriotes expatriés.

Alors d'accord, un Français expatrié est toujours un Français, avec ses droits pleins et entiers. Et ce, même si la raison de son expatriation est un simple exil fiscal. Bon, je vous rassure : je sais bien qu'il y a des tas de raisons de s'expatrier. Vivre et/ou travailler à l'étranger est une source de richesse culturelle, renforce l'expérience et permet de voir autre chose. Et d'ailleurs je l'ai moi-même fait, puisque j'ai fait une partie de mes études à l'étranger, et que je le referai si j'en ai l'occasion. Mais bon, tout le monde n'a pas d'intentions aussi pures que la curiosité du monde qui l'entoure et la volonté de découvrir d'autres cultures.

Sans doute que Sarkozy, estimant les expatriés globalement plus conservateurs, espérait rafler la mise. C'est assez curieux, en passant, cette manie qu'on ceux qui ne participent pas à la solidarité nationale d'encenser cette même solidarité nationale. Enfin bref. Selon moi, quand on s'expatrie, on renonce de fait à certaines choses. Pour autant, lorsqu'on est expatrié, il existe une petite chose appelée la double inscription sur les listes électorales. Par exemple lorsque j'étais étudiant à Vienne, je me suis inscrit sur la liste consulaire, qui m'aurait permis de voter aux élections de l'Assemblée des Français de l'étranger, ou bien aux présidentielles. Et à côté de ça, j'étais toujours inscrit chez moi, à Paris, ce qui m'a permis de voter par procuration aux municipales en 2008. Ce qui signifie entre-autres que la plupart des Français de l'étranger pouvaient déjà voter aux élections législatives !

En juin 2012, donc, 11 députés des Français de l'étranger ont été élus par nos compatriotes d'ailleurs, lesquels ont eu le choix entre maintenir la double inscription ou bien la remplacer par la seule inscription dans leur circonscription consulaire.

Là où le principe me gêne, c'est que comme vous le savez sûrement, un député, en France, représente la nation toute entière : c'est une des bases du droit constitutionnel. Il ne représente pas un territoire. Nous allons donc tous être représentés par des députés mal élus par entre-autres un certain nombre de fraudeurs divers et variés (les circonscriptions contenant la Belgique et la Suisse comptent de nombreux inscrits par rapport à leurs tailles, coïncidence ? je ne crois pas !), et ces députés vont voter par exemple des impôts qu'ils ne vont même pas payer !

Pourquoi mal élus ? Parce que la participation aux élections est, chez les Français de l'étranger, traditionnellement très faible, l'AFE connaît très bien le problème. En particulier, la taille des circonscriptions rend l'organisation d'un scrutin peu pratique (cette question faisait d'ailleurs l'objet d'une épreuve du concours de secrétaire de chancellerie au titre de 2011). Quant au vote par internet, il a été démontré le manque de fiabilité du dispositif, et on l'a d'ailleurs revu plus récemment avec le fiasco de la primaire UMP à Paris.

Et il faut rajouter le flou artistique entourant l'organisation de ces scrutins, avec parfois des problèmes curieux. Ainsi, l'élection de Corinne Narassiguin (PS) dans la première a été purement et simplement annulée, et Corinne elle-même rendue inéligible, parce qu'elle avait… ouvert un deuxième compte en banque, aux États-Unis, pour sa campagne. Apparemment, ces messieurs du conseil constitutionnel n'ont pas pensé que quand vous voulez louer une salle aux États-Unis, pour un meeting par exemple, il vaut mieux avoir un compte en banque local !

J'ai donc compilé les résultats (ne tenant compte que du second tour pour alléger, mais les résultats du premier tour sont similaires) et voici ce que ça donne :

J'ai mis en gras les taux d'abstention. Ce qui revient à dire que malgré des scores élevés en pourcentage des exprimés, ces députés, si estimables soient-ils (je suis moi-même ravi que nous ayons Sergio Coronado, élu EELV dans la deuxième circonscription), ont été élus avec des pourcentages ridicules par rapport aux inscrits. Et l'absention moyenne a été de 80% : au niveau national, elle était déjà considérée comme record avec 42,77%. Naturellement, tous ces chiffres viennent du Ministère de l'intérieur.

Notez qu'aucun des candidat n'a atteint le nombre de voix obtenu par le candidat élu dans la circonscription métropolitaine la moins peuplée, la deuxième des Hautes-Alpes (17461 voix pour seulement 50810 inscrits).

Et c'est encore pire pour la législative partielle dans les circonscriptions 1 et 8, le 9 juin 2013 ; même le Figaro l'a remarqué !

On a donc un député qui représente toute la nation, élu dans une circonscription qui a connu 92% d'abstention, donc élu avec moins de 5% des inscrits. On aura tout vu ! Et en plus, quel candidat ! Il faut quand même savoir que Meyer Habib, élu pour l'UDI dans la huitième — qui regroupe l'Italie, Malte, Saint-Marin, le Vatican, Chypre, la Turquie et Israël — a carrément snobé les électeurs des six premiers pays pour se concentrer uniquement sur le dernier, ce qui explique peut-être aussi le faible taux de participation (le numéro de téléphone sur son site de campagne ne mentionne même pas le code pays). D'ailleurs ce personnage est fort trouble et c'est It's good to be back qui nous parle de lui, extraits de discours à l'appui. Personnellement, je ne suis pas vraiment chaud pour être représenté par quelqu'un qui milite contre l'instauration d'un État palestinien, qui défend les positions les plus à droite que connaisse l'échiquier politique israélien et se déclare fier de porter leurs valeurs, celle de […] la Torah, à l'assemblée nationale. Ou bien qui affirme que Israël est l'État le plus moral au monde. Ben voyons. De là à voir l'intrusion d'intérêts de l'étranger directement dans l'Assemblée nationale, il n'y a qu'un pas !

Bref ceux qui comme moi seront contrariés (et ne comprennent pas que les positions de son nouveau député ne semblent poser aucun problème à Jean-Louis Borloo) pourront se détendre en écoutant cette chronique de Sophia Aram qui salue en fanfare le retour de Frédéric « Zadig et Voltaire » Lefebvre, élu dans la première circonscription. Un régal !