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376 Stop au cumul des collectivités locales

samedi 22 septembre 2012 • 16:54 (CEST)

Communes de France
La France et ses 36000 communes.
(cc)-by-sa Pouply

Il était une fois un mille-feuille... — Depuis de nombreuses années, la France se pose le problème de son mille-feuille administratif. Et dans un contexte de crise, où l'État est à la recherche d'économies drastiques, il est fort possible qu'il y ait là de quoi contenter le portefeuille national. Et au passage, de gérer correctement la fin du cumul des mandats (mais j'y reviendrai plus tard).

C'est en substance ce sur quoi s'est penché le député apparenté PS de l'Aisne René Dosière, célèbre pour passer au crible les dépenses de nos dirigeants. Et il y a quelques années, c'est le comité pour la réforme des collectivités locales, dit « comité Balladur » qui s'est penché sur la question. C'est qu'il y en a, des couches administratives et politiques. Commune, intercommunalité (avec des variantes suivant la taille de la communauté : communauté de communes, d'agglomération, urbaine...), département, région, État... niveaux auxquels il faut rajouter les cantons et les arrondissements, qui ne sont pas des collectivités territoriales mais ont leur rôle à jouer au niveau administratif.

Le comité Balladur avait, il me semble, essayé de composer avec la fronde des élus que la suggestion de supprimer les départements n'a pas manqué d'entraîner. Il a donc accouché d'une espèce de réforme hybride dans laquelle sont créés des conseillers territoriaux qui siègeraient à la fois au conseil général et au conseil régional selon la méthode à fléchage (comme c'est le cas au niveau municipal à Paris, Lyon et Marseille). L'autre point important de cette réforme est la création d'un nouveau niveau de communauté de communes, la métropole, qui concernerait les très grandes agglomérations.

Autrement dit, le mille-feuille est complètement préservé. Et ce d'autant que le comité en question ne réattribue pas les compétences entre les différents échelons. Et n'a donc pas servi à grand chose (à part à suggérer un scrutin à un seul tour, euh comment dire... quand la droite perd, elle change les règles ?).

Parlons tout d'abord des départements. Créés à la révolution, ils sont actuellement un grand facteur identitaire, peut-être même plus que la commune. Un exemple simple : dans le Perche ornais, un habitant d'Eure-et-Loir, ou de la Sarthe, qui font pourtant partie de la même région historique, sont vus comme des « étrangers » par les habitants ornais, même s'ils n'habitent qu'à 3 km. Un ornais qui habite 40 km plus loin est mieux considéré. J'exagère volontairement mes propos, c'est pour illustrer ce que je veux dire par là. Souvenez-vous de la fronde contre la disparition du numéro de département sur les plaques d'immatriculation...

Cependant, le département est-il encore pertinent ? Créés sous la Révolution pour unifier les échelons de l'époque qui reposaient sur les paroisses dont les limites étaient parfois très floues, ils ont été conçus pour que la préfecture soit peu ou prou à un jour de cheval, au maximum, de tout autre point du département. À l'heure de la voiture personnelle et du TGV, il est évident que cette définition est obsolète. D'un autre côté, la création des régions en 1982 telles qu'on les connaît aujourd'hui a modifié la donne dans les territoires. Ces régions ont diverses compétences, dont la clause générale de compétence. Ce qui veut dire que tout ce qu'un département peut faire, une région peut le faire aussi, si c'est d'intérêt régional : c'est ce qui en fait une collectivité territoriale, et non un simple établissement public (article 72 de la constitution). En clair : il n'y a rien de plus simple que de dissoudre les conseils généraux et de transférer leurs compétences fixées par la loi aux conseils régionaux.

Quant à la préservation par les conseillers régionaux de l'identité du département, ça tombe bien : ils sont déjà élus en listes départementales.

Évidemment, les gens sont attachés à leur département. Rien n'empêche de les conserver géographiquement, ce qui permet de garder les découpages des services. Car c'est le principal écueil : ne pas sacrifier les services. Faisons des préfectures départementales des sous-préfectures supplémentaires, et ne fermons pas les sous-préfectures actuelles pour permettre aux gens de bénéficier des services publics sans avoir à parcourir des distances parfois importantes ; en outre il n'est sans doute pas nécessaire de chambouler l'organisation des services déconcentrés de l'État  : les économies réalisées par la suppression administrative des départements devraient déjà être conséquentes.

Passons aux communes pour constater que dans bien des cas, et en particulier dans les communes rurales, le système est lui aussi obsolète. On estime que 92% des communes font partie d'une intercommunalité. Or, dans de nombreux cas, cette intercommunalité prend le pas sur une grande partie des prérogatives des communes membres.

Prenons la communauté de communes (CdC) de Perche-Sud, dans l'Orne. Elle est composée de 12 communes pour un total de 4547 habitants. La moins peuplée de ces communes compte 63 habitants (Saint-Aubin des Grois) et la plus peuplée en compte 1073 (Berd'huis). Ses compétences sont vastes et détaillées dans les statuts de la CdC : développement économique, aménagement et équipement, l'environnement, le patrimoine historique, l'habitat, les affaires scolaires (petite enfance et premier degré), les loisirs, le tourisme, la culture, la voirie intercommunales et l'aide sociale. Il faut y ajouter la collecte des ordures qui est gérées par un syndicat intercommunal. En résumé, les 12 communes ont délégué pratiquement toutes leurs compétences à la CdC : il ne reste que l'état civil, la voirie pour les rues et chemins qui ne sortent pas de la commune, et les pouvoirs de police du maire.

Or, parallèlement à cette CdC, il reste 12 conseils municipaux avec 12 maires, 12 premiers adjoints, etc. qui ne servent finalement plus à grand chose. Là encore, il y aurait beaucoup d'économies à faire en fusionnant purement et simplement les 12 communes, rien qu'en frais de fonctionnement, c'est à dire qu'on ne parle même pas de gaspillage par les collectivités locales — je ne parle que d'un effet purement mécanique.

D'ailleurs, la problématique des communes ne s'arrête pas aux économies : nos 36700 communes représentent 30% du nombre de divisions de niveau LAU-2 de l'UE alors que nous ne représentons que 13% de la population. L'Allemagne ne compte que 13176 communes (11% des LAU-2, 16% de la population) et l'Italie en compte 8100 (7% des LAU-2, 12% de la population). Ces deux pays sont comparables à la France (pour le Royaume-Uni c'est plus compliqué, leurs collectivités locales étant très variées ; leurs LAU-2 sont des districts électoraux, qui représentent 9% des LAU-2 pour 12,5% de la population). Un autre exemple : la région Alsace comporte 904 communes ; la Suède est six fois plus peuplée mais n'en compte que 290. L'État allemand voisin de Bade-Wurtemberg, six fois plus peuplé que l'Alsace et cinq fois plus grand, compte 1108 communes. Cet écart peut être source de problèmes pour les maires concernés en matière de coopération transfrontalière, ainsi que dans le cadre du Conseil des communes et régions d'Europe (CCRE). Nos maires ne représentent pas grand monde face à leurs homologues européens.

On peut aussi prendre l'exemple des communes limitrophes de Paris, qui ont du mal à peser face au géant qu'est la capitale. Fusionner ces communes au sein de leurs communautés respectives (La Plaine-Commune, Est-Ensemble, Seine-Défense, Cœur-de-Seine...) permettrait d'augmenter leur poids face à Paris et dans Paris-Métropole (qui n'est pas une collectivité territoriale).

En bref, il existe 2701 communautés de communes, 202 communautés d'agglomération et 15 communautés urbaines, ce qui tranche nettement avec le nombre de communes actuelles.

Évidemment, les fusions de communes, elles aussi, font polémique : chaque initiative en ce sens a rencontré une ferme résistance (la loi Marcellin en ce sens fut un échec). Néanmoins il y a beaucoup à y gagner notamment au sein d'une Europe des collectivités locales : des communes puissantes peuvent être une bonne alternative à l'échelon plus ou moins fédéral tant décrié en ce moment.  Et surtout, dans le contexte actuel, peut-on vraiment se priver de supprimer deux des cinq niveaux de collectivités locales qui sont de toute façon redondants ? Si cela semble trop violent, on peut reprendre une méthode, au moins transitoire, évoquée dans C dans l'air du 21 septembre 2012 par Christian Saint-Étienne (avec lequel je ne suis pas souvent d'accord), qui avait également été envisagée par le comité Balladur et que j'ai mentionnée plus tôt : la méthode à fléchage. Faisons des communes actuelles des arrondissements municipaux qui élisent des conseillers pour le conseil municipal : ainsi on atténue la perte de l'identité locale tout en palliant le manque de démocratie directe au sein des intercommunalités (dont les membres ne sont pas élus directement à l'heure actuelle).

Il faut en outre noter que les départements et collectivités d'outre-mer sont déjà composés de communes qui regroupent plusieurs villages et que cela ne semble gêner personne : ces communes comptent parmi les plus grandes communes françaises (47 des 50 plus grandes communes françaises se trouvent outre-mer). Ceci étant, la superficie n'est pas un critère pertinent.

Il y a pourtant régulièrement des fusions (et aussi des séparations) de communes, en France et ailleurs : c'est ce qui explique que les chiffres pour le nombre de communes de tel ou tel pays varie légèrement selon les sources (et selon l'année qu'elles considèrent) : l'important reste l'ordre de grandeur. Il y avait ainsi en France 36700 communes au 01/01/2012. Il y en avait 36680 au 01/01/2011. Parmi les fusions récentes celèbres, celle de Cherbourg avec Octeville en 2000. Différentes villes ont absorbé au cours du XXe siècle des communes limitrophes, telles que Dunkerque, Lille, Bordeaux, Le Havre...

Il existe, pour terminer, un autre avantage, et je suis surpris de n'avoir encore entendu personne l'évoquer. La fin annoncée du cumul des mandats, engagement 48 de campagne de François Hollande, fait polémique : les élus font de la résistance, certains évoquent des exceptions pour le Sénat... Le comité Balladur s'était aussi heurté à une fronde des élus locaux, certains disent même que cette fronde a fortement contribué à l'alternance historique à l'occasion des élections sénatoriales de septembre 2011. Pourtant, cette fusion communes/intercommunalités et départements/régions serait une occasion en or de réaliser cette fin du cumul des mandats : une bonne partie des élus locaux ayant d'autres mandats, ceux-ci devraient de toute façon choisir ; les concernés qui n'ont pas d'autres mandats pourront, eux, se présenter pour d'autres sièges laissés vacants pour la même raison. Alors que si on interdit le cumul des mandats avant de régler le problème du mille-feuille, les sièges seront à nouveau pourvus entre temps et on en reviendra à notre problème de fronde des élus.

On aurait sans doute tort de se priver d'un tel concours de circonstances...

• En savoir plus sur la nomenclature d'unités territoriales statistiques (NUTS et LAU).