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375 Le mariage pour tous pour les nuls

mardi 11 septembre 2012 • 18:29 (CEST)

Love. Peace. Equality
Peace. Love. Equality.
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Depuis l'élection de la majorité socialiste, on entend beaucoup parler du projet de loi légalisant le mariage pour tous, soit l'engagement 31 du programme de François Hollande — un projet de loi EELV devait  faire l'objet d'un débat aujourd'hui au Sénat. Et on peut assister à une véritable déferlante de propos homophobes, insultants de manière générale, voire révélateurs d'une ignorance crasse. Et les opposants à la mesure ne reculent devant rien pour imposer leur vision des choses.

D'histoire en tradition — Certains arguments sont en fait de véritables tromperies destinées, à n'en point douter, au Français moyen, peu informé et surtout peu désireux de s'informer. Si ça ne vous rappelle rien, souvenez-vous de la campagne présidentielle :  contrevérités, raccourcis faciles et populisme à gogo. Du coup, voici un petit florilège des arguments bidons qu'on peut lire à longueur de forum.

Je vais commencer par ceux qui invoquent la tradition chrétienne. Pour ceux là, je me contenterai de leur dire qu'ils sont hors sujet. D'abord, réglons cette histoire de tradition : le mariage religieux n'est plus reconnu en France comme contrat légal depuis la loi du 20 septembre 1792 (Titre IV), date à laquelle l'état civil a été laïcisé. C'est également cette loi qui instaure en France le divorce (Titre IV, section V), jusqu'alors inexistant. Et quand même, 220 ans, je trouve que c'est pas mal comme période pour une tradition. D'autant que depuis cette même loi, il est illégal pour un prêtre de célébrer un mariage avant le passage par la mairie (ceci avait pour but de transférer progressivement le contrôle de l'état civil de l'Église à l'État).

Et heureusement, on ne vit plus comme au XVIIe siècle...

Pour d'autres, le mariage a pour but la procréation, or, des homosexuels ne peuvent pas faire d'enfants. Alors je précise à toutes fins utiles que les homosexuels peuvent parfaitement faire des enfants, merci pour eux. Juste pas ensemble. On retrouve de nombreux couples lesbiens avec un ou des enfants, conçus par des méthodes variables (avec un ami très proche, par AMP dans un pays où c'est autorisé, etc). Pour le reste, cet argument ne tient pas la route 30 secondes : d'une part, la loi du 21 août 1793 fait du mariage « une convention par laquelle l'homme et la femme s'engagent, sous l'autorité de la loi, à vivre ensemble, à nourrir et élever les enfants qui peuvent naître de leur union ». Le mot-clé ici : « peuvent ». D'autre part, en droit contemporain, la définition est la suivante : « Le mariage est un acte juridique solennel par lequel un homme et une femme s'unissent et dont les effets sont fixés par la loi. »  En pratique, si le mariage avait pour but la procréation, il faudrait alors l'interdire aux couples dont un membre est stérile, aux personnes âgées, et à ceux qui ne veulent tout simplement pas d'enfants. Ce qui ne viendrait à l'idée de personne, il me semble.
Seul l'article 213 du Code civil mentionne les enfants : les époux « pourvoient à l'éducation des enfants et préparent leur avenir. » Ce qui n'implique aucune obligation d'avoir des enfants.

On entend aussi dire que c'est tout simplement la famille qui est remise en cause. Et là je dis, sortez un peu de chez vous. Il y a bien longtemps que la famille « traditionnelle », Papa-maman-les enfants, n'est plus qu'un type de famille parmi d'autres (monoparentale, recomposée, sans enfant...). Oh pardon, j'aurais dû dire : papa au travail-maman aux fourneaux-les enfants à l'école. Désolé. Aujourd'hui on choisit sa famille à un certain degré, c'est comme ça et il faut vous y faire. D'ailleurs, rien ne vous oblige à divorcer/vous remarier/virer votre cuti. Au fait, pour votre information, les statisticiens français considèrent comme famille tout ensemble de 2 personnes ou plus qui vivent ensemble (couple, parent seul avec un enfant).

Mais « leur » permettre de se marier, c'est la porte ouverte à l'adoption ! Oh, quelle horreur ! Alors tout d'abord, il faudrait savoir. Soit c'est le mariage c'est pour avoir des enfants, soit on interdit l'adoption, mais il faut être un peu cohérent. D'ailleurs n'y a-t-il pas assez d'orphelins qui seraient mieux dans une famille, même moins classique que certains l'aimeraient, qu'à la DDASS ? D'ailleurs, ce n'est qu'une toute petite partie de la problématique de l'adoption. Or, je vais vous livrer un scoop : les familles homoparentales existent et on évalue leur nombre entre 30 000 (INED) et 300 000 (APGL). Soit qu'ils soient nés d'une union précédente, ou adoptés par un seul des parents, ou nés d'une AMP... Et que se passe-t-il lorsque le parent légal décède ? L'enfant se retrouve... à la DDASS. Le problème est d'ailleurs le même pour les enfants de couples hétérosexuels dont seul l'un des membres est le parent : mais dans ce cas l'adoption est possible. À noter que ce fut l'objet d'un projet de loi sur le statut du beau parent, porté par Nadine Morano en 2009 (c'est bien la seule fois où j'ai été d'accord avec elle sur quelque chose), qui a provoqué de vives réactions à droite, notamment chez Mme Boutin.
J'ajouterai pour finir sur ce point que les adoptions internationales par des couples homosexuels sont quasiment impossibles, comme le montre l'exemple belge.

Et sinon, de toute façon, il y a déjà le PaCS, n'est-ce pas assez ? Et bien, le PaCS a beaucoup de points communs avec le mariage. Les fleurs bleues argueront d'une différence de taille : le mariage est une institution (ce qui signifie qu'on ne peut le rompre à sa guise, d'où le divorce), et le PaCS est un simple contrat. Beaucoup d'autres trouvent le PaCS plus pratique. Le fait est que nous sommes dans une société qui se veut égalitaire. Les droits du PaCS et du mariage se recoupent sur de nombreux points, mais pas tous, notamment en matière d'adoption (cf le paragraphe précédent). Puisqu'on a éliminé la procréation comme but ultime du mariage, il n'y a strictement aucune raison que certains couples ne puissent pas jouir des mêmes droits et des mêmes protections (dans le cas des enfants en particulier, mais aussi de la protection du logement familial, qui fait défaut au PaCS) que les autres.

Quant à ceux qui on peur de voir la destruction de la société (ou de la civilisation - coucou Mme Boutin !), qu'ils se rassurent : Argentine, Belgique, Canada, Danemark, Espagne, Islande, Norvège, Pays-Bas, Portugal et Suède sont toujours là et n'ont pas sombré dans le chaos ni n'ont vécu l'apocalypse. À noter que Mme Boutin avait employé le même argument lors du vote du PaCS en 1999.

Touchez ma bosse, monseigneur... — Voilà pour les principaux arguments... argumentés, j'ai envie de dire. Il y en a bien d'autres qui ne méritent pas vraiment de démontage, tant ils sont idiots. En voici quelques exemples :

  • Pouah, les laisser se marier ? Et bientôt la zoophilie tant qu'on y est ! — Malheureusement cet argument revient souvent (coucou Mme Barèges !). On parle d'union contractée par des adultes consentants. Légalement, les animaux ne peuvent prendre de décision, n'ont pas le pouvoir de consentement, et n'ont pas de responsable légal pour leur en fournir un, donc avant même d'examiner les implications d'une telle déclaration, l'argument est déjà cassé.
  • Si on finit par autoriser n'importe quoi, la prochaine étape sera la pédophilie ! — Là encore un exemple particulièrement triste de la bêtise humaine. Tout d'abord, ça fait un parallèle de trop entre homosexualité et pédophilie, comme quoi ces idioties ont la vie dure. Mais là encore, un enfant n'a pas de pouvoir de consentement légal, et ne peut prendre de décision : c'est donc exclu de facto.
  • S'ils peuvent adopter, leurs enfants vont devenir déviants. — Oui, j'ai lu ça dans les commentaires du Monde sur Google+ ce matin. Des hordes d'enfants déviants vont s'abattre sur nous. Mais bien sûr, et la marmotte elle met le chocolat dans le papier d'alu aussi. Il suffit de regarder en Espagne, en Islande, en Norvège... pas plus d'enfants déviants qu'avant l'ouverture de l'adoption pour tous.
  • Ils vont se faire moquer d'eux à l'école. — Oui, sans doute de la même façon qu'ils se feront moquer d'eux s'ils sont trop gros, trop maigres, trop petits, trop grands, trop roux, trop timides, trop maladroits, trop ceci ou trop celà. Les écoliers sont très inventifs pour ce genre de choses. Mais ça passera d'autant plus inaperçu que la société en général se montrera tolérante... Souvenez-vous !
  • Ce sera la décadence de l'occident déchristianisé. — C'est sûr que l'occident christianisé, c'est super sympa et pas du tout décadent. Qu'en pensent, au hasard, les enfants victimes de la pédophilie ecclésiastique ? Et les victimes de l'inquisition espagnole, qui a quand même sévi de 1478 à 1834 ?
  • On ne veut pas du mariage gay. — Il ne s'agit pas de créer un mariage gay, mais d'ouvrir les mêmes droits, devoirs et protections à tous les couples.
  • C'est une menace pour la survie de l'humanité. — Ah je l'aime bien celui là. Alors déjà, vu la surpopulation qui menace (il paraît qu'on va être 9 milliards en 2050), c'est plutôt les couples qui font enfant sur enfant — soit par choix soit car leurs autorités religieuses (ou leur conscience pour certains je suppose) leur interdisent la contraception, et je vise autant les chrétiens d'Afrique que les juifs ultra-orthodoxes en Israël que les musulmans des pays du Golfe, pour ne donner que quelques exemples — qui sont une menace. D'autre part, le fait de se marier ou pas ne changera rien au nombre d'enfants qui seront conçus, ou plutôt ne seront pas conçus, par les couples homosexuels, et ce d'autant qu'il n'est pas question d'ouvrir les vannes de la gestation pour autrui.

En bonus, un petit lien vers Les droits des homosexuels expliqués aux crétins. C'est en anglais, mais c'est bien vu... et ça reprend certains de ces arguments. Et vous pouvez lire l'interview de Christiane Taubira, garde des Sceaux.