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382 De l'homophobie

jeudi 10 janvier 2013 • 23:37 (CET)

Avant de commencer, on va faire une grande et belle mise au point très rhétorique mais qui, par les temps qui courent, me paraît nécessaire. C'est à dire qu'on va répondre très simplement à la question : « qu'est-ce que l'homophobie » ? Évidemment, étymologiquement, on retrouve homo, semblable, et phobie, la peur. Raccourci pour homoérotophobie, la peur de l'homoérotisme, néologisme apparu en 1972 et je vous passe les détails, vous avez tout ça facilement sur Google.

Le sens du terme a dévié. Si à l'origine il s'agissait bien de la peur de l'homosexualité et des homosexuels, ce sens a évolué et n'a pas rejoint le domaine de la psychiatrie (où l'on retrouve les phobies « classiques », l'agoraphobie par exemple). Il a très vite englobé les enjeux sociétaux et les ramifications dans la société en tant que telle, à savoir l'hostilité envers les homosexuels de façon plus générale. Juridiquement, l'homophobie est une discrimination, c'est à dire une attitude, loi ou règle qui différencie les personnes en l'occurrence du fait de leur homosexualité. Par abus de langage, on inclut généralement dans ce terme les discriminations dont sont victimes les LGBT en général, mais on peut aussi parler de biphobie, transphobie, etc.

À titre personnel, je n'ai jamais vraiment subi l'homophobie.

Peut-être parce que je viens d'une famille plutôt ouverte, avec, comme aurait dit mon prof d'épistémologie et méthodologie des sciences sociales, Daniel Gaxie (inspiré par Bourdieu), un capital culturel hérité plutôt élevé. Ce qui donne une famille ouverte d'esprit, ouverte à la diversité, à ce qui n'est pas habituel. Ouverte sur le monde, d'ailleurs. Nous sommes plutôt du genre drogués aux chaînes d'info (dont la qualité, malheureusement, baisse, baisse, baisse), et nous ne savons plus que faire des bouquins qui s'entassent dans tous les coins. Mon père fréquente des tas de gens, dont un certain nombre d'homosexuels, et du coup, je n'ai jamais entendu quoi que ce soit qui puisse permettre de faire une différence. J'ajoute le concernant qu'il était plutôt réputé pour ne pas traiter les femmes différemment dans son boulot et ça, je pense, c'est loin d'être facile quand il faut ménager des susceptibilités.

À l'époque où j'étais en troisième, j'ai compris que je ne m'intéresserai pas aux filles. En fait avec le recul, je sais que c'était déjà dormant, mais je ne l'ai réalisé qu'à ce moment là. Anecdote dans l'histoire, la réalisation en tant que telle est venue d'une rumeur : une amie a cru qu'un type avait posté des photos d'elle nue en ligne alors que ce n'était qu'une homonyme qui n'avait rien à voir et qui, de fait, lui ressemblait un peu mais en bien plus âgée (et heureusement). J'avais donc 14 ans à cette époque ; mais j'avais mon lot de problèmes à gérer à ce moment là. Le collège n'a pas été une époque facile ; j'étais plutôt asocial, complètement déconnecté de mes camarades et j'en prenais pour mon grade également en raison de mon surpoids, lequel était plus impressionnant qu'aujourd'hui — mais j'y reviendrai dans un moment.

Au début bien sûr je n'étais pas spécialement porté sur les hommes ; j'ai simplement mis ça de côté. Ça peut paraître un peu étrange, mais je suis ainsi : si quelque chose n'est pas un problème immédiat et que je n'ai pas de solution évidente, je le mets de côté jusqu'à ce que ça devienne pressant. J'ai même arrêté d'y penser alors que je me bagarrais dans la jungle du lycée — non plus contre mes camarades (j'avais changé radicalement d'environnement, passant d'un collège du fin fond d'une ZEP à un lycée soi-disant d'élite, dans lequel j'ai fait parmi les meilleures rencontres de ma vie) — mais contre l'encadrement qui ne me trouvait pas assez « dans le moule ».

Au fil du temps, mon homosexualité s'est affirmée et, comme je n'y voyais toujours pas de problème pressant, je n'ai rien fait contre. Mon côté asocial s'était un peu arrangé mais je suis resté principalement dans mon rôle d'observateur. Il n'y avait pas grand chose à observer. Évidemment je me suis laissé aller à expérimenter côté filles, sans aller très loin : la culpabilité de ce que je savais parfaitement être un mensonge a très vite pris le dessus — il m'a fallu plusieurs années pour revenir dessus et rectifier le tir. On ne peut pas dire que j'aie eu beaucoup d'incitations, et avec le recul, c'est bien mieux comme ça.

Au final et en dehors de ce cas précis, je n'ai jamais fait de coming-out. Je n'en ai pas eu besoin. Pour moi, c'est normal, finalement. C'est comme ça. Je suis là pour garantir que ça n'a rien d'un choix, mais je ne suis pas spécialement malheureux pour autant, ni profondément blessé et je n'ai certainement rien d'un pédophile ou d'un zoophile (je ne reviens pas sur les horreurs qu'on entend dans le cadre du débat en cours, j'ai déjà bloggué sur ce sujet).

Alors bien sûr, la société reste relativement homophobe. Le débat sur le Pacs, en 1999, l'a montré. 1999, c'est justement mon année de troisième. Les débats étaient assez violents, mais tout ce qui se disait me paraissait tellement lointain que je n'y ai pas prêté attention. C'est comme ça que je gère ces choses là. Au collège, j'ai laissé les moqueries et autres provocations me passer au dessus de la tête. Je ne pouvais rien faire d'autre : toute autre réaction n'aurait fait que les encourager. Alors bien entendu, il m'est arrivé, certains soirs, d'en avoir gros sur la patate et d'avoir besoin d'évacuer. Mais dans l'ensemble, je m'en suis plutôt très bien sorti.

Du coup, l'homophobie ordinaire (notamment ces petites blagues[1] qui paraissent innocentes mais sont révélatrices d'un état d'esprit encore rétrograde bourré de clichés), j'ai toujours laissé courir. Les tweets homophobes, je laisse courir, et je signale s'ils arrivent dans ma timeline. Que voulez-vous faire ? Ce sont principalement des gamins qui se croient drôles, répètent ce qu'ils entendent à la maison et sont contents parce qu'ils font réagir des gens. S'il y a bien une chose que j'ai apprise, c'est qu'on ne raisonne pas avec ces gens-là.

Seulement, cette fois-ci, le débat, faute d'un meilleur mot, est particulièrement violent, bien plus qu'il y a 14 ans. On entend de véritables horreurs de la part de personnalités publiques ou les propos moyenâgeux qu'on croyait oubliés depuis longtemps, ou qui du moins n'avaient plus la résonnance médiatique qui leur permettait de faire du mal à grande échelle.

J'ai toujours laissé tout ça me passer au dessus de la tête, même si je n'hésite pas à condamner les propos et que j'aurai agi à la moindre menace. Les mots n'ont que le poids que leur donne celui qui est visé ; les actes, c'est autre chose. J'encaisse, je laisse courir. Le mépris reste encore le meilleur des traitements.

Et pourtant aujourd'hui, j'ai été poussé dans mes retranchements. Et ça paraît tout bête, comme situation. Je partais au cinéma quand, à ma station de métro, je croise un homme qui distribuait des tracts. La soixantaine peut-être. Souriant. Je regarde le tract qu'il me tend, il est estampillé « Manif pour tous ». En rose. Je retire la main. Il me regarde en souriant. Je lui dis : « Non, je ne crois pas, désolé ». Il me sourit. Je lui dis, « Vous devriez changer le nom en "Manif seulement pour les hétéros" ». Il me sourit. Je descends l'escalier sans autre regard.

Trois fois en tout, ce soir : les deux autres étaient place de l'Étoile, au niveau des avenues Hoche et de Wagram, respectivement. Des jeunes, d'à peu près mon âge, un peu plus jeunes peut-être. Souriants. Je les ai laissé tendre leur tract puis je l'ai refusé de la même façon. Ils souriaient.

Ces gens sont contents d'appeler à manifester pour qu'on ne donne pas des droits dont eux-mêmes bénéficient à une catégorie de population en raison de son orientation sexuelle. Ils sont contents d'appeler à manifester en faveur d'une discrimination. Ils sont contents de vouloir maintenir une inégalité patente. Ils sont contents d'appeler, pour la première deuxième fois, à manifester contre une liberté[2].

Ce soir, je pense à tous les jeunes qui se découvrent, qui réalisent que, peut-être, ils sont différents, et qui entendent des horreurs à longueur de journée, à longueur d'interview de Boutin ou de Frigide Barjot ou d'autres pontes de l'UMP et des diginitaires religieux expliquer que les homosexuels sont des sous-citoyens et doivent le rester (qui plus est, avec des arguments qui ne tiennent pas la route mais qu'aucun journaliste ne semble décidé à démonter). Je pense à tous ces jeunes dont les familles soutiennent ce mouvement, et vont aller manifester pour qu'ils n'aient pas les droits auxquels ils peuvent prétendre. Je pense à ceux qui vont vivre dans ce mensonge que je n'ai plus supporté à peine formulé, probablement par nécessité plus que par choix, parce que l'alternative est cruelle. Je pense à tous ces jeunes qui vont prendre en pleine figure la haine qui sera dans la rue le 13 janvier comme elle l'était en novembre.

J'ai énormément de chance : beaucoup ne l'ont pas. Se découvrir homosexuel(le) n'a rien de facile. Même dans la meilleure des situations, on sait qu'on va être confronté à ce que vit n'importe quelle minorité. L'ambiance du moment, l'opposition frontale et la violence des discours, en plus de blesser toute une partie de la population, met beaucoup de jeunes dans l'embarras et risque de briser des familles.

Ce soir je pense à eux et je suis sacrément content de ne pas être scolarisé dans une école privée de l'enseignement catholique mais d'avoir une famille ouverte d'esprit à la place. Entre-autres.

Notes

[1]. Je ne parle pas de l'humour authentique qui fait faire des blagues parfois douteuses, mais quand on se connaît et qu'il n'y a pas d'arrière pensée, qu'on rigole juste entre soi, ce n'est pas vraiment un problème. Tout est une question de contexte. Je parle plutôt de ce qui a une résonance médiatique ou qui vous poursuit dans votre boulot, le côté malsain, en somme.

[2]. Manifester contre un droit, c'est du jamais vu. Même en 1984, lors de la grande manifestation pour la défense de l'école privée. Il s'agissait plus de défendre une possibilité qu'un droit, mais ce n'était pas contre un droit.